Au Cameroun, les sorciers menacent Paul Le Guen
Au Cameroun, les sorciers menacent
Paul Le Guen
Au Cameroun, le
football est comme une religion. Et les idoles du ballon rond sont
presque déifiées. Dans les rues et les maquis de Yaoundé, l’ambiance est
électrique. Pour les supporters des Lions indomptables, il n’est pas
question que ces derniers rentrent bredouilles d’Afrique du Sud. Même les « sorciers » sont mis à contribution. Ces
derniers, qui ont prié pour Eto’o et compagnie, ont proféré des menaces à
l’endroit de l’entraîneur français Paul Le Guen : il doit faire de bons
résultats sinon... YAOUNDE (Cameroun) - Restaurant de l’hôtel Hilton de
Yaoundé est particulièrement animé en cette matinée du dimanche 6 juin
2010. Il est 10 heures. Le calme qui y régnait depuis quelques jours est
brusquement « perturbé » par l’arrivée de l’équipe nationale de
football du Cameroun. Les Lions indomptables ont débarqué tôt le matin
en provenance de Belgrade où, la veille, ils s’étaient inclinés (3 à 4)
devant la Serbie. Juste à côté de notre table, joueurs et membres du
staff prennent le petit déjeuner. Le repos du guerrier après une
rencontre âprement disputée. Ils sont accompagnés de leur famille
proche : des femmes, des enfants et des parents visiblement ravis de
retrouver ces fils prodiges qui font la fierté de tout un peuple. Au
Cameroun, le foot est comme une religion et les champions sont déifiés.
« Les joueurs et leur famille bénéficient de repas gratuits au Hilton
pendant un an », nous glisse une serveuse du restaurant. L’ambiance est
bon enfant. On prend des photos, on signe des autographes, on rit aux
éclats. Malgré les apparences, le climat est loin d’être serein dans la
tanière. Les derniers résultats de l’équipe nationale ont installé la
confusion au sein des fanatiques du ballon rond. La lourde défaite face
au Portugal (1 à 3), il y a quelques jours, a poussé les plus
pessimistes à se poser des questions sur la capacité des coéquipiers de
Samuel Eto’o à s’imposer durant cette Coupe du monde 2010. Après le petit déjeuner, nous croisons Jacques Songo’o
dans les ascenseurs. Cet ancien goal du Cameroun est depuis quelques
années le préparateur des gardiens de but de l’équipe nationale.
L’ex-joueur du Canon de Yaoundé, du Fc Metz et du Deportivo La Corogne
sourit quand nous lui déclinons notre nationalité. « Ah, comment vont
les Lions du Sénégal ? Vous avez une belle équipe, dommage qu’elle ne
soit pas qualifiée pour le Mondial sud-africain. J’espère que les
Sénégalais vont nous supporter. Nous sommes aussi des lions non ? » nous
lance-t-il, toujours avec le sourire. A ses côtés, le jeune prodige
Eric Choupo Moting, l’attaquant du Fc Nuremberg, en Allemagne. De père
camerounais et de mère allemande, il a finalement opté pour les Lions
indomptables. « Nous sommes très motivés et je piaffe d’impatience de
descendre sur le terrain », nous confie-t-il avant de sortir de
l’ascenseur et de s’engouffrer dans les couloirs. RITES ET TRADITIONS ANCESTRALES A Yaoundé, capitale administrative du Cameroun, on ne
parle que de foot. Des journaux comme Le Jour, Mutations et Le Messager
se délectent de la querelle entre Roger Milla et Samuel Eto’o. Le
premier accuse le second de ne pas mouiller le maillot national comme il
le fait avec son club italien, l’Inter Milan. Ce dernier, offusqué par
les propos du « vieux », a publié une lettre ouverte adressée à ses
compatriotes afin de s’expliquer. « S’il a mal pris mes propos, je m’en
tape ! » a répliqué Milla. L’affaire divise les Camerounais. Au maquis
« Le bois d’ébène », Amadou et Michel, deux fanatiques des Lions
indomptables, en ont même oublié leur plat de ndolé à force de
polémiquer sur la question. « Les propos de Milla ne sont pas ceux d’un
homme responsable, surtout pour quelqu’un qui a un statut d’ambassadeur
itinérant ! » s’emporte Michel entre deux rasades de bière. « Mais c’est
cela le rôle d’un patriarche : il doit redresser les enfants quand ils
empruntent le mauvais chemin », lui rétorque Amadou, tout en mâchant
quelques tranches de banane plantin. Le son strident du rythme bikutsi
qui provient des enceintes de ce restau-boîte-de-nuit ne décourage guère
les deux supporters des Lions. Sur l’avenue du 20 mai où les voitures roulent à tombeau
ouvert, règne la même ambiance. Cette artère qui fait face au Hilton
est prise d’assaut par quelques supporters et des groupes qui veulent
voir de près leurs idoles. Mais de solides gaillards, dans leur tenue de
vigiles, filtrent les entrées et ne laissent passer que les clients de
l’établissement ou les parents des footballeurs. Les plus chanceux
peuvent apercevoir la voiture de Samuel Eto’o, un bolide luxueux, genre
Hummer, stationné devant le parking de l’hôtel, mais sans son
propriétaire. Au Cameroun, le foot n’est pas seulement l’affaire des
supporters. Rites et traditions ancestrales sont « convoquées » pour
gonfler à bloc les joueurs de l’équipe nationale. Dans les mosquées et
les églises, on implore Dieu pour que le parcours des Lions indomptables
soit couronné de succès. Les mbobong, ces patriarches du peuple Bassa’a, se sont
réunis le samedi 5 juin dernier pour une bénédiction rituelle destinée
aux 23 sélectionnés et à leur coach. La cérémonie qui a regroupé 90
patriarches a eu lieu dans le village de Malmiang, à une cinquantaine de
kilomètres de Yaoundé. Ces gardiens de la tradition, détenteurs de
pouvoirs mystiques, ont même proféré des menaces à peine voilées à
l’endroit de l’entraîneur français Paul Le Guen qui fait face à des
critiques acerbes depuis que l’équipe nationale accumule les mauvais
résultats. Les « sorciers » Bassa’a demandent à Le Guen de jouer
pleinement son rôle et de mener le onze national à la victoire. « Dans le cas contraire, cela pourrait se retourner
contre lui », déclarent-ils. Les dévots sont quand même confiants : ils
prophétisent un belle coupe du monde pour les Lions indomptables. Les
Camerounais disent Amen, Paul Le Guen aussi..