NAFISSATOU DIA DIOUF, ÉCRIVAIN SÉNÉGALAIS : « Je souhaiterais que les Sénégalais soient les Suisses de l’Afrique »
NAFISSATOU DIA DIOUF, ÉCRIVAIN
SÉNÉGALAIS : « Je souhaiterais que les Sénégalais soient les Suisses de
l’Afrique »
Auteur de
l’ouvrage intitulé « Socio biz : chroniques impertinentes sur l’économie
et l’entreprise », Nafissatou Dia Diouf déplore certaines
« sénégalaiseries » qui entament sérieusement le développement de nos
entreprises, voire du Sénégal. Un regard sans complaisance sur toutes
les facettes l’économie sénégalaise. Elle demeure convaincue que le
déficit de « la citoyenneté économique » dans nos entreprises est un
frein à la croissance. Pour y remédier, elle invite les Sénégalais à
s’inspirer de la démarche des Suisses.
Quelles sont vos
véritables préoccupations dans votre dernier ouvrage intitulé : « Socio
biz : chroniques impertinentes sur l’économie et l’entreprise » ? Mon propos était de dépeindre l’entreprise sénégalaise
et son environnement socioéconomique tels que je les vois et je les
vis : dynamiques, colorés mais aussi remplis de petits travers et de
grands freins potentiels qui, si nous n’y prenons garde, pourraient
durablement entraver notre marche vers une économie performante. J’ai
voulu tendre un miroir à mes concitoyens, en particulier aux acteurs
économiques que nous sommes pour qu’on puisse se regarder tels qu’on est
et ce miroir est à dessein grossissant voire caricatural justement pour
susciter l’intérêt puis le questionnement et enfin la remise en
question. Pourquoi après leur publication
dans le magazine « Réussir », vous avez jugé nécessaire d’en faire un
livre ? C’est justement le public du magazine qui m’a inspiré
cette démarche. Il se passe rarement un mois où je n’ai pas de feedback
des lecteurs sur la chronique du mois, beaucoup d’encouragements mais
aussi beaucoup de réactions sur le fond, sur les attitudes que certains
reconnaissent et dont ils prennent conscience réellement à la lecture de
la chronique. Ce sont cependant des messages diffus dans le temps et
l’idée d’en faire un recueil nous a paru séduisante et surtout utile.
Cela a demandé toutefois un véritable travail derrière, parce que la
démarche journalistique est une approche différente. Elle est plus
spontanée, moins réfléchie. Avant de retranscrire ces chroniques en un
recueil, j’ai dû les retravailler un peu, les édulcorer même parfois,
gommer les repères de temps pour permettre à l’ouvrage de ne pas être
trop corrélé à l’actualité du moment et ainsi de mieux traverser le
temps. J’ai voulu aussi donner une valeur ajoutée, un petit supplément
d’âme à ces chroniques avec des illustrations. C’est aussi une accroche
pour les personnes qui trouvent les livres généralement rébarbatifs.
C’est à mon sens une bonne mise en bouche et les illustrations justement
humoristiques donnent envie au lecteur de plonger dans la chronique. Ce
fut un véritable travail de remue méninges et une belle interaction
avec l’équipe éditoriale et l’illustrateur, Samba Ndar Cissé, qui est
très talentueux et très professionnel. Et le choix de l’humour ? Mon propos dans ces chroniques n’était pas de faire un
constat sur ce qui ne va pas et de me poser en donneuse de leçons. Ce
serait prétentieux de ma part. La théorie, dans le fond, d’autres en ont
parlé avant moi, avec toute la légitimité qu’il faut et je ne sais pas
s’ils ont été entendus. J’ai voulu prendre le contre-pied en faisant
sourire pour mieux faire ressortir le côté dérisoire de certaines
situations et ainsi frapper les esprits. Je voudrais faire en sorte que
chacun se reconnaisse, à divers degrés bien sûr, en se disant « si ces
situations sont risibles, donc on pourrait bien rire de moi ». L’humour
est une manière de faire passer la pilule et plus elle est amère, plus
on doit forcer le trait ! Est-ce que nos « sénégalaiseries »
sont incompatibles au développement ? Je suis convaincue qu’en Afrique, nous avons un socle
extraordinaire que sont nos valeurs. Egalement un lien social très fort
que nous envient d’autres sociétés. Ce que j’essaie de souligner à
travers ces chroniques est que nous sommes dans une société qui évolue.
Nous valeurs doivent rester constantes et rester des repères mais nous
devons nous adapter et adapter nos comportements si nous voulons évoluer
avec le reste de l’humanité dans un environnement globalisé. La
convivialité par exemple est une valeur très forte et un formidable
garde-fou en général. Elle peut être calamiteuse en entreprise, quand on
transforme les couloirs en grand’place, quand les réunions commencent
en retard et qu’en plus on consacre trente minutes aux salamalecs. C’est
complètement improductif. Cela justifierait-il
les nombreux cas de détournement ou autres malversations ? Pas forcément, je n’en parle pas d’ailleurs car c’est un
phénomène qui existe certes, mais qui malheureusement est bien partagé
et réparti dans le monde. Je ne veux pas stigmatiser. Je ne parle pas
réellement des tares mais plutôt de l’insouciance, de la légèreté et des
comportements improductifs et dont nous n’avons pas vraiment
conscience. Mais je parle également de success stories, dans ce
livre, avec des chroniques sur les femmes actives qui jonglent
habilement entre « tableaux de bord et couches culottes », le succès de
la micro finance dans le contexte africain, etc. Tout n’est pas que
coups de griffes dans ce livre, bien au contraire, même si je pense
qu’il faut savoir mettre le doigt sur ce qui ne va pas et le dire sans
complaisance dans une dynamique positive et orientée vers le changement. Et c’est pour quand « l’ère de la
citoyenneté économique » ? C’est pour bientôt. Je suis optimiste. Le bien-être
social passe par le bien-être économique et tout le monde aspire au
bien-être social. Seulement, l’escalier se balaie par le haut. Il faut
que nos pouvoirs publics soient exemplaires, qu’ils mènent une politique
économique cohérente et propice à l’épanouissement de chaque citoyen.
Une fois ces préalables réglés, la citoyenneté économique ne pourra pas
être une option. Je souhaiterais que les Sénégalais soient les Suisses
de l’Afrique. Mais j’admets qu’il y a encore un long chemin à faire ! Quel regard portez-vous sur la
littérature sénégalaise ? La littérature sénégalaise est encore trop
confidentielle. Elle reste malheureusement l’affaire d’une certaine
élite, mis à part les ouvrages dédiés aux programmes scolaires. Elle ne
rencontre pas vraiment son public et en cela, elle est en danger. En
danger, parce que le livre est un produit culturel certes, mais un
produit quand même donc avec une valeur économique. Il faut que les
auteurs arrivent à vendre les livres pour que les éditeurs soient
intéressés à les publier. Il faut donc qu’ils écrivent des livres qui
intéressent le public, que le livre soit accessible financièrement, tout
un cercle vertueux en fait pour que le livre arrive à être
économiquement viable pour jouer ensuite tout son rôle éducatif,
culturel et être aussi un objet de loisir et d’évasion. Qu’en est-il de la littérature
enfantine dans votre bibliographie ? C’est une expérience que j’ai mise entre parenthèse,
pour l’instant, même si j’ai encore beaucoup de manuscrits non publiés.
Je suis très intéressée par les expériences nouvelles et j’estime qu’à
ce niveau, j’ai encore beaucoup de chemins non explorés. C’est tout de
même une formidable expérience car les enfants sont une perpétuelle
source de jouvence. Ils sont spontanés et vrais et en cela, ils ne
trichent pas. Quand une histoire ne les accroche pas, ils posent le
livre et vont jouer. C’est un public très difficile à satisfaire. En
même temps, ils ont une telle soif de nouvelles connaissances, de
nouvelles expériences, ils sont capables de tant enthousiasme qu’écrire
pour eux et les emmener à la lecture devient exaltant. Comme le disait
François de Closets, « Il n’est pas de bonne pédagogie qui ne commence
par éveiller le désir d’apprendre ». Enfin, les futurs adultes que sont
les enfants sont une cible de choix pour tous ceux qui, comme moi,
prêchent pour le renouveau de la lecture. Nafissatou Dia Diouf vit-elle de sa
plume ? Loin de là. La seule richesse que la plume m’apporte,
c’est celle du contact avec l’autre et pour moi, c’est une valeur
inestimable. Pour tout le reste, j’ai un travail, tout ce qu’il y a de
plus « conventionnel » qui me fait vivre et qui heureusement est une
grande source d’épanouissement pour moi. J’essaie d’avoir une démarche
professionnelle dans mon approche de l’écriture mais les journées ne
sont faites que de 24 h. C’est mon seul regret. Partagez-vous cette réflexion de
Franklin Roosevelt lorsqu’il soutient que « les livres sont la lumière
qui guide une civilisation ? Tout à fait. Le livre et la bibliographie en général
sont le reflet d’un pays, d’une culture, d’une civilisation, d’une
époque. Les livres sont les témoins de leur temps et survivent pour la
plupart à leurs auteurs pour livrer une culture parfois oubliée, parfois
lointaine, parfois méconnue. Tout acte d’écrire est révélation
implicite ou non et les bons écrits survivent des siècles à leurs
auteurs. Une forme d’immortalité sans doute.